Cognac et Whisky Bache-Gabrielsen

Rencontre avec Hervé Bache-Gabrielsen, président de la Maison Bache-Gabrielsen, éditeur de cognacs depuis 1905 et désormais d’un whisky français du même nom.

Hervé, quel est ton parcours ?

Je suis un cognaçais pur jus, né à Cognac, même si ma famille est d’origine norvégienne. Je suis l’aîné de 4 garçons, qui avons tous grandi à Cognac, nous avons baigné dans l’univers des cognacs. Mon père dirigeait déjà en effet déjà la maison éponyme.

Dès le plus jeune âge, j’ai pris l’habitude des diners avec des japonais qui nous rapportaient des Walkman Sony avant l’heure, des norvégiens qui nous apportaient du saumon, j’ai baigné dans un univers cognaçais mais multiculturel, ouvert au monde.

J’ai fait une prépa et une école de commerce à Kedge Bordeaux, fait une spécialité finance, et j’ai basculé dans les vins et spiritueux : stage chez Heineken, VIE chez Pernod Ricard en Norvège, puis j’ai rejoint la tonnellerie Seguin Moreau et ai rejoint Bache Gabrielsen en 2003.

A cette époque, j’avais envie de relever le challenge de reprendre la Maison familiale, dans un environnement prestigieux, international, convivial aussi. Mais il y a certainement eu une dimension Call of Duty, mon père a du me glisser qu’il espérait vraiment qu’il y ait une suite familiale. J’ai grandi avec ça. En tant qu’aîné, je me suis vite positionné comme l’un des candidats sérieux, et l’un de mes frères m’a rejoint dans la Société.

Quelle est l’histoire de Bache-Gabrielsen ?

Notre Maison Bache-Gabrielsen s’est constituée grace au rachat de la Maison de cognac Dupuy par mon arrière grand-père norvégien en 1905. Il était responsable export comme sales manager pour son propre père et pour certaines maisons. A l’époque, il était assez courant que des scandinaves soient sales managers grâce à leur maîtrise des langues, notamment l’anglais, l’allemand, le russe et d’autres encore.

Avec son associé sur le cognac Dupuy, ils ont créé leur marque Rusta-Bache-Gabrielsen. Rusta est décédé dix ans plus tard, mon arrière grand-père a racheté ses parts et la maison s’est renommé Bache-Gabrielsen. Il s’est marié à Cognac avec une jeune femme charentaise et a eu trois fils, dont René puis Thomas et enfin moi en ligne directe.

D’ailleurs, avec la famille norvégienne, nous avons gardé un lien, et on fait du troc, foie gras contre saumon ! Une cousine vient d’ailleurs d’être nommée gouverneur de la Banque de Norvège !

Quel est le métier de Bache-Gabrielsen ?

Chez Bache-Gabrielsen, nous faisons de la sélection et de l’élevage, ou du vieillissement.

Notre signature de marque est « Révélateur de spiritueux », via la sélection des eaux-de-vie, l’assemblage et le vieillissement. C’est notre spécialité. C’est aussi un modèle traditionnel dans les maisons de négoce.

Nous choisissons nos viticulteurs qui connaissent notre style et notre cahier des charges depuis des années. Nous avons plus un style Rémy Martin pour aller chercher de l’expression aromatique et de l’arrondi qu’un style Martell, même si cette opposition est probablement un peu dépassée.

Mon opinion est que la chaîne de valeur du cognac est tellement élevée que nous n’avons pas la prétention de vouloir intégrer toute la chaîne de savoir-faire. Et notre maître de chai est un gros geek en terme de vieillissement, donc notre spécialité est bien sur ce maillon !

Présentes-nous tes gammes de produits Bache-Gabrielsen ?

Je commence par la Marque de cognac Dupuy qui existe toujours, qui est classique et produit un cognac français traditionnel. Le cognac Bache-Gabrielsen s’inscrit en fort complément (pour 85%!) en allant chercher de nouveaux territoires, en particulier avec la création de nouvelles gammes.

La gamme Révolution a commencé avec le lancement d’un cognac en double maturation, en fûts de Chêne français et Américain. Ce croisement a apporté de très belles choses. On importe du chêne américain, mais on fait faire les fûts à Cognac. Mon passage dans la tonnellerie me sert tous les jours ! L’American Oak a été lancé en 2016, il a été une révolution et un preuve de notre audace.

La seconde révolution, c’est le « n°5 » : cognac écoresponsable, avec une bouteille conçue à 85% à base de verre ménager (vs blanc) ; un bouchon taillé dans une seule pièce sans colle; du papier recyclé ; des encres naturelles ; du cognac bio vieilli 5 ans. Et le circuit d’utilisation de la bouteille est réfléchi aussi avec QR Code, envoi de bouteille pour nettoyage et réemploi.

De mon point de vue, le bio a de l’avenir mais n’est pas strictement nécessaire pour faire un produit bon et sain. Aujourd’hui, cognac s’oriente l’agriculture raisonnée et cela semble déjà très bien. Donc il n’est pas dit que ce produit n°5 soit précurseur d’un grand remplacement chez Bache-Gabrielsen. Mais les spécificités de son packaging ont le potentiel d’être déployées sur nos différentes gammes. Le 5 est pour nous un Concept car !

Enfin, nous avons aussi une gamme Millésimes. Mais pas n’importe comment. Le Millésime ne dit pas le temps de vieillissement et il peut y avoir des entourloupes. Chez nous, nous marquons nous le temps de vieillissement, qui est l’indicateur principal de l’étiquette, et nous avons déjà une rupture de stock sur le 19 ans.

Peux-tu nous parler de tes marchés ?

La Maison Bache-Gabrielsen fonctionne grâce à l’Europe et l’Europe du Nord. Elle est leader sur le marché norvégien. Rendez-vous compte : en 2000, le marché consommait 3 millions de bouteilles pour 5 millions d’habitants ! Nous vivions dans cet Eldorado !

Puis nous avons suivi le consommateur norvégien : d’abord en Duty Free dans les baltiques, puis en Suède, puis en Allemagne, puis dans les pays baltiques en domestique, puis l’Europe de l’Est, etc. Nous sommes présents aujourd’hui dans 35 pays, avec un développement important sur l’Europe. Nous avons plus de mal en Asie, car la compréhension d’un cognac d’origine norvégienne n’est pas évidente.

Le Cognac, c’est 230 millions de cols, 3,6 milliards d’euros de CA surtout sur 2 continents, Amérique du Nord et Asie. Les USA, c’est 115 millions de cols sur 350 millions d’habitants ! Pourquoi n’y es-tu pas ou peu ?

Notre exotisme passe assez mal en Chine malgré quelques clients. Quant aux USA, il fonctionne sur la base soit d’une Brand Face, d’un ambassadeur black américain, comme Jay-Z avec d’Ussé, passé de 0 à 800 000 caisses en 6 ans ; soit sur la base d’une installation progressive. Nous n’avons pas les moyens d’avoir une Brand Face, nous fonctionnons donc sur le deuxième schéma, beaucoup plus lent !

Le marché américain promet beaucoup mais il faut l’aborder avec humilité. Il faut réussir à bâtir des bastions. C’est dur, chronophage et coûteux et c’est méga concurrentiel. Alors nous essayons de déplacer le référentiel : on s’évite de rentrer dans des catégories pour passer d’un VS, VSOP, XO, à un océan bleu avec des innovations audacieuses. Rémy Martin 1738 est un bon exemple. Mais c’est un travail de fond, un « grass roots effort » qui s’écrit dans le temps.

Il faut le dire, nous sommes plutôt bon dans les monopoles, Canada, Suède, Norvège car nous sommes capables de délivrer un mix de grande qualité. La distribution étant assurée par les Monopoles, cela nous évite au moins cette dimension !

Comment fait-on pour créer une success story sur un marché ? As-tu une secret sauce ?

La Norvège est clairement notre success story. Une combinaison entre le fait d’être présent depuis des années de façon assez classique et le facteur chance : on était présent sur un marché qui s’est transformé tout d’un coup : la Norvège a surfé sur une richesse folle. En 20 ans, ils sont passés de pommes de terre au Caviar, tout a été chamboulé.

Nous sommes aussi des petits-enfants de norvégiens, nous sommes donc au coeur d’une success story norvégienne à l’étranger, et les Norvégiens sont friands de cela. Thomas Bache-Gabrielsen est un héro en Norvège !

Et enfin, en 1999, nous nous sommes fait voler un camion de 30 000 bouteilles et la presse s’est emparée de cet événement. Un énorme buzz qui a nourri notre chance. Les journalistes disant qu’il n’y aurait probablement pas de bouteilles disponibles pour Noël. Cela a été un événement sans précédent et à coût zéro, mis à part nos 30 000 bouteilles !

Et pour dire, dans les années 1990, on est passé de quelques milliers de caisses à un million de cols en 5 ans.

Nous sommes devenus le leader du marché en Norvège avec 40% de parts de marché. Depuis 2015, le marché s’est stabilisé, le duty free s’est développé, la concurrence s’est bougé, il y a plus de 500 cognacs référencés. Le gateau diminue et les parts aussi, mais nous restons leader avec 32% de parts de marché. D’ailleurs, la bonne nouvelle, notre Cognac American Oak vient d’être référencé en basic listing sur ce marché de Monopole.

Depuis, nous avons essayé de répliquer notre story auprès de la communauté norvégienne américaine, dans le Dakota du Sud notamment. Mais ça a été un échec cuisant. Ils sont vraiment devenus américains !

Comment fait-on pour ouvrir le marché français ?

Je pense qu’il peut y avoir des succès du cognac en France. Mais il faut de la résilience et pousser l’effort assez longtemps. La France est devenue le 5ème pays ! L’intérêt est en augmentation. Il y a aussi l’argument prix. La qualité du cognac est excellente par rapport au whisky notamment.

Dans ce frétillement français, il y a de nombreuses petites marques qui semblent créer une dynamique, Planat, Bradstaad, Fusion, etc. Et c’est très utile, cela montre une catégorie dynamique. Le marché peut devenir un marché de croissance sécuritaire dans une monde très incertain.

Tu lances un Whisky Bache-Gabrielsen, pourquoi ?

Oui, nous lançons le whisky Bache-Gabrielsen. Ce qui nous pousse à cela, c’est d’abord la curiosité ! Et notre savoir-faire depuis 4 générations : nous avons envie de titiller une autre catégorie. Le whisky français est naissant mais fourmille d’initiatives et est rempli de gens sympas que nous avons envie de côtoyer. Notre démarche est modeste mais nous sommes contents du résultat.

Côté produit, nous avons fait vieillir notre whisky Bache-Gabrielsen cinq ans en double maturation en fût de cognac et de pineau des Charentes, c’est aussi une jolie audace, peu courante, et qui arrondit le whisky et lui donne des notes miellées.

Le whisky a gardé le nom de la maison Bache-Gabrielsen. Pourquoi ?

C’est un peu couillu ! Mon souci est d’aider le consommateur à avoir accès à de bons produits. Parce qu’aujourd’hui, il y a une telle offre que nous voudrions servir de GPS au consommateur sur un certain nombre de spiritueux grâce à notre qualité. Nous voulons nous positionner comme une marque qui garantit pour le consommateur une vraie qualité produit, quel que soit le produit que nous créons. Mais mon approche reste vraiment modeste.

Comment abordez-vous le marché français et les cavistes en particulier ?

Guilhem Grosperrin est un modèle sur le marché des cavistes français. Nous avons aussi ce travail d’évangélisation à faire. Et nous misons sur nos différentes propositions produits. Très classiquement, nous faisons des déplacements avec les commerciaux de La Maison du Whisky et nous réalisons des masterclass, rien d’innovant, mais on le fait ! Il faut que nous continuions bien ce que nous avons entrepris. C’est de cette façon que nous pourrons un jour en récolter des fruits.

Eclair

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