Portrait de Benjamin Kuentz, éditeur de whiskies

Benjamin, quel  est ton parcours ?

Alors moi je suis Benjamin Kuentz, j’ai 42 ans, j’ai créé ma boîte et je me suis lancé dans le whisky il y a quatre ans pour créer ma maison et mon profil. J’ai la chance d’être français, donc j’ai la chance d’avoir un héritage de goût qui m’est transmis par ma famille.

Quand j’étais jeune, en troisième, je voulais être chef. Après je suis allé dans une école qui disait : non, il faut faire des prépas, des choses comme ça. Donc j’ai fait des études universitaires, j’ai fait un DEUG de maths, une maîtrise d’économie et après je suis allé en école de commerce. Mais en sortant de mon école, je suis allé dans le goût puisque j’ai choisi de diriger un restaurant pendant un an, le restaurant d’un ami. Avant de basculer dans les spiritueux et de l’autre côté du bar. Ça fait donc à peu près 15 ans que je travaille dans l’univers des vins et spiritueux. Et ce qui m’a toujours intéressé c’était le goût.

Et le whisky en particulier, c’est une passion récente ?

Je suis amateur de whisky depuis toujours. Depuis, on va dire mes 20 ans pour être raisonnable. J’ai toujours apprécié et été un grand amateur de whisky. Après ce qu’il faut savoir, c’est que j’ai travaillé 7 ans dans un grand groupe de spiritueux, chez Bacardi-Martini, en tant que commercial, en trade marketing. Et c’est là que j’ai pris le goût des échanges avec les responsables de bar, de restaurant, les barmen, les beaux hôtels. C’est aussi là que j’ai pris le goût des marques, des produits. Et c’est aussi là où j’ai pu découvrir la production puisque j’ai visité des grosses usines et des plus petites aussi. J’ai souvenir de Bénédictine ou de Noilly Prat. Ça a commencé à me trotter dans la tête, de me dire : tiens, un jour j’aimerai bien créer mes spiritueux !

En France on a tout pour faire de très bons whiskies puisqu’on maîtrise toutes les étapes d’élaboration : de la céréale, du champ… jusqu’à la distillation, le vieillissement et puis l’assemblage. Mon point de départ quand je me suis lancé il y a 4 ans, c’était de dire : si nous, Français, on avait inventé le whisky, qu’est-ce qu’on aurait fait, quelle direction on aurait prise ? Nous sommes de gros amateurs de whisky en France : on est le plus gros marché de single malt et de whisky écossais au monde et pourtant on est très jeune dans la production de whisky. 

A quand remonte ton premier souvenir autour du whisky ?

Mon premier vrai souvenir c’était en 2001, j’étais en échange universitaire à Montréal, j’avais 20 ans et à l’époque, il n’y avait pas beaucoup de cours, mais il y avait surtout un pub écossais juste à côté de chez moi qui s’appelle L’île Noire. Il devait y avoir 150 à 200 whiskies à la carte et chaque mois, ils proposaient des dégustations commentées. Il y avait vraiment toute l’aromatique décrite et c’est là où j’ai fait mon palais, où j’ai vraiment fait mon nez, où j’ai vraiment appris à déguster, à sentir. Puis en fait je n’ai jamais lâché, à la fois dans le monde professionnel et personnel. J’ai toujours éduqué mon palais, alors un peu sur le tas, parce que je ne viens pas d’une famille qui distille depuis 5 générations, ça c’est certain. 

Éditeur de whisky ! Quelle est ton inspiration pour la création de ta marque de whisky ?

C’est vrai, j’ai choisi le terme d’éditeur de whisky français parce que déjà je voulais un clin d’œil littéraire. Si nous Français, on doit transmettre un peu quelque chose, c’est notre art de vivre, et la littérature en fait partie.

Je trouvais que le terme d’éditeur reflétait bien mon travail. Alors, pourquoi ? Parce que mon point de départ ce n’est pas la distillation, je ne sais pas distiller ! Mais ce n’est pas grave parce qu’il y a de très bons distillateurs en France. Mais mon point de départ c’est l’écriture. Celui qui fait l’œuvre c’est l’écrivain. En fait, j’écris et j’édite, je veux d’abord poser sur le papier une recette, un nez, une bouche, une finale, j’écris toutes les aromatiques, j’essaie de détailler au maximum les aromatiques que j’ai en tête pour créer mes whiskies, la texture aussi, l’univers vers quoi veut nous emmener le whisky. Et une fois que je suis satisfait de ma recette sur le papier, là je choisis de travailler avec une distillerie ou une autre en France. Et suivant la recette que je vais créer, je vais travailler avec une distillerie en Lorraine, en Bretagne, en Charente, dans le Vercors, enfin ou ailleurs dans le Jura pour créer mon whisky.

En d’autres termes, peut-on dire que tu es un embouteilleur indépendant de whiskies français ?

L’embouteilleur indépendant pour moi, va aller voir une distillerie, il va goûter des choses : “ah ça, j’aime bien, je le réserve, je le prends pour moi et puis je le vendrai de telle ou telle manière”. Moi c’est différent, j’ai un goût en tête, une recette que j’écris, et ensuite je cherche à la créer et à répondre à cette recette. Quand je vais dans une distillerie, je vais échanger avec le maître de chais, je vais lui dire “voilà ce que je veux faire”, il va me faire goûter des fûts. Je vais dire, “il y a ça mais il manque un peu d’épices, il manque un peu de fraîcheur” et je vais travailler sur une chose essentielle pour moi dans le whisky, c’est l’assemblage

As-tu une sorte de ligne éditoriale pour ta gamme ?

Tout d’abord, je veux proposer un cœur de gamme, qui sera fini, je pense, en septembre 2021, parce que j’ai encore deux whiskies à lancer pour compléter ce cœur de gamme. Ce sont des whiskies qui vont répondre à des moments de consommation. C’est des whiskies dont je m’inspire d’humeurs.*

Donc il y a un whisky qui s’appelle D’un Verre printanier, j’ai voulu créé un whisky frais, fruité, floral qui, à la fois garde l’esprit du distillat de départ et qui se prête bien à une consommation avant le repas, même à une consommation quand il fait chaud.

J’ai un autre whisky Fin de partie, lui c’est un whisky qui se prête bien à une consommation en fin de journée ou après le repas. Ce sont des whiskies qui vont répondre à différents moments de consommation, suivant nos humeurs.

J’en ai un autre là, qui complète ce cœur de gamme, Aveux Gourmands et là c’est plus un whisky de gourmandise. 

Pour moi, un bon cœur de gamme c’est entre 3 et 5 whiskies ou finalement on va dire, bien là, je suis plutôt de cette humeur là, j’ai envie de partager cette émotion. Voilà comme je le construis.

Et ensuite, la partie où je me laisse plus de liberté, ce sont des whiskies de rencontre, dans le sens où ce sont des whiskies pour lesquels je vais me laisser inspirer par mes rencontres.

Il y a par exemple un chantier naval à Brest qui s’appelle Le Guip et qui est le plus gros chantier d’Europe dont l’activité est de retaper de vieux bateaux en bois. A moitié breton, j’ai toujours navigué, et en parlant avec le patron du chantier, je me suis dit : j’ai envie de faire un whisky qui s’appelle Le Guip et m’inspirer du travail de ce chantier, des sensations que j’ai, moi, quand je suis sur un bateau ou sur un chantier, pour écrire ce whisky là. Ça donne un cadre assez précis, voilà, je veux créer un whisky bien charpenté, droit, sec, comme un bateau avec une belle ligne.

C’est comme ça que j’écris mes recettes. Et après, soit je crée un single malt, un assemblage, soit je m’arrête sur un fût.  Là en l’occurrence c’était un single cask qui répondait vraiment à mon souhait.

Et comment se passe la recherche des whiskies qui entrent dans les assemblages que tu as imaginé ?

La première chose que je fais c’est de me déplacer. Je pense que déjà il y a un échange avec la personne et on voit tout de suite si on a le même feeling, la même vision. Et puis après il y a le fait de goûter le jus. D’abord goûter le distillat mais ce qui m’intéresse au préalable c’est de voir comment il distille, quelle est sa patte, parce qu’on a des alambics complètement différents suivant les régions, parce qu’on a des héritages également très différents suivant les régions

Donc moi je goûte ces sensations là. Je goûte et je sélectionne d’abord pour les jus, je les garde en tête, je les mémorise. Et après je regarde leur manière d’élever, de faire vieillir et ça se fait un petit peu comme ça et en fait suivant les recettes que j’ai créées, là je vais plutôt travailler avec cette personne là, parce que je vais trouver dans son distillat de départ la base qu’il me faut pour faire vieillir et trouver du whisky. 

As-tu le souhait de créer et d’exploiter ta propre distillerie ?

Quand je me suis lancé, j’avais envie de m’associer à une distillerie ou de racheter une distillerie qui faisait du whisky (ou pas) mais pour faire du whisky en France. Et en faisant ce tour de France, je me suis dit, “non mais moi j’ai envie de rester libre et de travailler avec plusieurs partenaires”. Pourquoi ? Parce que je ne voulais pas créer un whisky avec une seule identité régionale et peut-être être limité à terme d’avoir une seule ou deux pattes de distillats différents. Je voulais rester libre en tous cas de créer avec différents distillats.

Je pense que je n’ai pas envie de m’asseoir dans une distillerie. En revanche, étudier les autres étapes et travailler sur des chais un peu différents pour faire des élevages particuliers ou avoir des climats différents qui me permettent de trouver des choses que je n’ai pas chez mes partenaires, ça oui ! Travailler sur la céréale et sur le champ aussi. Oui, si je pose mes valises c’est plus sur la céréale et sur le chais. Sur le distillat, j’aime bien m’appuyer sur le savoir-faire qu’on a en France 

Vous pouvez écouter l’interview de Benjamin Kuentz en vous connectant sur notre page webinaires

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