Le champagne décomplexé selon Myriam de la cave Récoltant Manipulant à Lyon

Interview de Myriam Chaperon, gérante de la cave “Récoltant Manipulant” à Lyon. Depuis 6 ans, la cave porte haut et fort les valeurs des champagnes de vignerons et des vins de terroir.

Par Léonard Pradines, notre Ambassadeur cavistes.

Myriam, je vous laisse tout d’abord vous présenter et nous parler de votre parcours

M’installer dans une cave a été pour moi la transition normale des choses. Avant ça j’ai fait beaucoup de restauration, avec un accent sur les bars et les vins. Cette emphase est issue de mes parents qui m’ont poussé très jeune à être curieuse; “il fallait goûter et écouter ».  Au cours de ces 8 ans de restauration j’ai pu passer quelques années aux Etats-Unis et 3 ans à Londres où j’ai pu valider plusieurs certifications et me spécialiser dans les champagnes de vignerons.
Suite à cette expérience je décide de revenir à Lyon où j’avais fait mes études. Je trouvais que la dynamique de la ville était bonne. Il y a beaucoup de choses positives à Lyon : l’ouverture d’esprit des habitants, le confort de vie et la proximité des vignobles.
Reprendre une cave me semblait à ce moment-là être la suite logique des évènements et un projet qui m’intéressait beaucoup. Quand je m’y suis installé la cave existait déjà, j’ai seulement effectué des changements petit à petit pour donner “un coup de frais” au lieu et aux références proposées.

Comment faites-vous votre sélection ?

L’assortiment se construit au travers de mes déplacements dans les vignobles, les salons professionnels et les vignerons qui passent en boutique. Certains aiment bien voir où leurs vins sont vendus et s’impliquer dans l’activité commerciale.
Pour ce qui est des champagnes, j’ai vraiment la volonté de les défendre et de les présenter sous un autre jour. J’ai également envie de mettre en avant le vigneron qui travaille le produit du début à la fin.
On peut clairement dire que c’est ma région de cœur ! J’y ai passé beaucoup de temps durant mes expériences en restauration, car étant française j’étais souvent amenée à faire la traduction entre les vignerons et mon équipe. Grâce à ça je n’ai presque plus besoin de GPS quand je m’y rends haha !
J’ai pu développer de vrais contacts privilégiés avec les vignerons et depuis je remonte 1 à 2 fois par an afin de les revoir et en rencontrer de nouveaux. Je suis toujours en quête de nouvelles découvertes, et d’autant plus sur cette région en particulier.

Avez-vous des critères particuliers pour les champagnes ?

J’aime une multitude de styles. Et j’essaye donc d’en proposer une variété aussi grande que possible à la vente.
En revanche, j’essaye au maximum de référencer des champagnes de vignerons récoltants et avec une traçabilité importante. Je ne critique pas du tout les champagnes de grandes maisons, mais j’ai besoin de savoir d’où viennent les vins et comment ils sont faits. J’ai également besoin de connaître l’auteur des vins pour apprécier le travail.
Je suis par contre ouverte à tous les cépages, tous les millésimes et tous les terroirs. Je suis surtout dans la recherche d’équilibre, de tension et de précision. Ma sélection ne s’effectue pas en amont mais est plutôt une conséquence du travail du vigneron.

Qu’en est-il du dosage ?

Sur le dosage, je dois avouer que je me suis adapté à la demande, c’est pour cela que je ne propose rien de plus dosé que du brut.  Le champagne demi-sec est de moins en moins demandé et par extension moins de vignerons en produisent, même si j’ai pu en goûter des extraordinaires, chez André Beaufort notamment.
Le choix est souvent cartésien : est-ce que je serai capable de transmettre la volonté du vigneron et passer outre les a priori des clients ou est ce que je préfère garder le produit et l’émotion ressentie pour moi-même ? Il est parfois agréable d’avoir aussi ses pépites perso…
J’ai remarqué qu’en travaillant avec des récoltants qui étaient très soigneux et précis, et en étant toujours très proches des maturités, les vins avaient de moins en moins besoin de dosage pour avoir de l’équilibre. On remarque souvent une différence notable entre ce que leur père ou leur grand-père faisait. J’ai récemment eu la chance de déguster un champagne de 1976, sur lequel un dosage de 11 ou 12g avait été nécessaire pour en garder l’équilibre. C’est évident que le changement climatique y a joué un rôle aussi. Aujourd’hui je travaille majoritairement avec des extra-brut ou des non dosés sans pour autant négliger l’équilibre du produit.

Le dosage du champagne par Vinsta

Trouvez-vous qu’il y ait eu un changement dans le monde du champagne ? Côté production ou consommation ?

Il y a déjà eu un élargissement du terroir champenois il y a quelques années afin de pouvoir générer une plus grande production et ainsi répondre à la demande grandissante à l’export.
Au niveau de la production j’avoue ne pas avoir beaucoup de recul sur le sujet, je ne m’intéresse vraiment au champagne que depuis 8 ans, ce qui est trop peu pour avoir une vraie idée de l’évolution. Le débat sur l’autorisation des vignes semies-larges (plus d’espace entre chaque rang de vigne) anime les foules en ce moment. Je n’ai pas forcément d’avis la dessus puisqu’on ne sait pas si cette décision sera bonne ou néfaste pour la qualité du raisin. En revanche, beaucoup sont contre car cela sera la porte ouverte à la mécanisation dans les domaines. Sur un autre débat, on constate dans toute les régions que la température augmente, et amène avec elle son lot d’évolutions. On assiste à une augmentation des maturités et donc des degrés alcooliques avec des dates de vendanges toujours plus tôt ! Il y a donc là-dessus des questions à se poser.
L’une d’entre elle sur un sujet intéressant et positif : depuis ses 4 – 5 dernières années, on remarque de plus en plus de vignerons en Champagne qui redéveloppent leurs productions de coteaux champenois en rouge et en blanc. Et on constate également qu’une demande pour ces produits existe. Là où la Bourgogne a évolué et va encore évoluer avec le changement climatique, on arrive en Champagne à des vins ayant des caractéristiques proches de l’esprit bourguignon. On doit monter plus au nord pour aller dans des styles de vins d’il y a 20, 30 ou encore 45 ans. La Champagne avance à grands pas vers une offre plus fournie et très qualitative de nouveaux vins. Pour le maintien des bulles et l’acidité, on manque encore de recul. D’autant plus que je n’ai pas les pieds dans le vignoble pour avoir les dernières nouvelles.

Concernant la consommation, je remarque un changement que j’apprécie : les gens se détachent des grandes maisons. Il y a 5-6 ans c’était plus compliqué; si les clients ne connaissaient pas les étiquettes ou les maisons, ils allaient ailleurs. Maintenant, ils sont plus ouverts et curieux et on arrive même à sortir du cadre champagne = moment spécial ou célébration ! On arrive sur des situations ou les gens prennent du champagne à la place d’un rouge ou d’un blanc pour un même budget de 40-50€. Les campagnes récentes des comités poussent cette nouvelle image du champagne et du terroir. On dédramatise les bulles et on encourage à les consommer à d’autres moments que pour la fête.

Quels sont vos accords mets et champagnes favoris ?

Pour les accords mets et vins, on peut toujours aller plus loin et être très précis, mais je préfère rester assez large dans mes choix et mes conseils. Ça me permet d’être plus pragmatique au quotidien et me faire plaisir sans pour autant chercher l’accord parfait à chaque fois. Pour revenir sur le champagne, la bulle et l’acidité marche très bien avec un profil de plat très iodé. C’est pour cela qu’on le recommande assez souvent sur des fruits de mer et sushis. Mais ce qui fonctionne surtout excellemment bien c’est d’allier du champagne avec ce qui est crémeux et gras !
Quand j’étais à Londres dans le restaurant Bubbledogs, on servait des champagnes avec des hot dogs. L’acidité vient casser le gras, c’est un peu un accord magique ! Ça peut sonner très décadent, mais dans les faits ça fonctionne tellement bien ! On peut également accompagner le champagne d’une tartine de beurre ou d’une crème de légumes bien épaisse, mais l’accord qui pour moi est extraordinaire c’est champagne/frites.  Comme pour un burger avec de la bière, on a besoin de bulles fraîches pour un peu rincer le gras du palais, et c’est pour ça que cet accord fonctionne incroyablement bien !

Les hot dogs ne sont-ils pas trop puissants pour le champagne ?

On proposait tout type de hot dogs, du classique pain et saucisse à celui plus travaillé avec par exemple du chutney épicé.  Les hot dogs proposés dépendaient beaucoup des champagnes que nous servions au verre. On pouvait choisir des champagnes plus ou moins dosés, plus ou moins vineux, plus ou moins fruités… L’objectif n’a jamais été de viser l’accord parfait, nous voulions surtout dédramatiser le champagne et ses accords, sortir des choses trop guindées et que les gens prennent du plaisir. Ou voulait revenir sur des bases simples : boire des bonnes choses sans pour autant en faire quelque chose d’ultra gastro. Et les hot dogs allaient dans ce sens-là, pas de truffes ou de caviar, le but était que les gens s’amusent !
On travaillait plus sur le conseil du champagne que sur l’accord pur. Évidemment, on a pu avoir des accords un peu brut, mais en proposant des champagnes plus marqués par les vieillissements sur lattes ou des vinifications en fûts de chêne, on peut avoir des produits ayant des épaules assez solides pour supporter des hot dogs plus marqués.

Avez-vous en tête des moments qui vous ont marqués ?

Je me souviens en particulier d’une bouteille de 76 de chez Alexandre Chartogne (champagnes Chartogne Taillet) vinifiée par son père. C’était un moment sublime car totalement inattendu… Nous étions autour d’un four à pizza construit pour les vendanges au milieu des vignes, et ce moment qui devait être qu’un simple repas s’est transformé en un cours de dégustation où s’enchainaient les bouteilles folles au milieu de nulle part. 
J’ai aussi eu pas mal d’émotions pendant certaines dégustations des vins de Marie Noëlle Ledru. J’essaye de me souvenir de ces moments-là car elle a arrêté de produire et donc ses champagnes se font de plus en plus rares.
Il y a aussi eu certains moments avec Vincent Laval et David Léclapart, je pense notamment à un apéro fou où avaient lieu des dégorgements minutes, où l’on goûtait à des choses qui n’existaient pas, sur des toutes petites parcelles. Je pense que j’ai été marqué par ces vins surtout grâce aux personnes avec qui j’étais, plus que par les vins en eux-mêmes. Je ne viens pas de là- bas, je n’y passerai peut-être jamais plus de 2 semaines par an jusqu’à la fin de ma vie mais j’ai un vrai attachement pour cette région. Je suis aussi beaucoup attachée à l’Aube, tout au sud de la Champagne, où je ne manque jamais de m’arrêter chez Charles Dufour, chez qui on sait toujours à quelle heure on arrive, mais rarement quand on repart. (photo ci-dessus)

Vous parlez beaucoup de moments avec des vignerons, mais avez-vous eu ces mêmes moments avec des amis ? 

Oui il m’est arrivé de partager de supers moments avec des amis, mais c’est surtout quand je les amène avec moi en Champagne ou à des dégustations. Exemple tout bête : avant d’ouvrir la boutique il y a 6 ans, je suis allé en Champagne pour récupérer des cartons afin de pouvoir faire l’ouverture de la boutique avec du stock. J’ai pris ma sœur avec moi, et elle me disait tout le temps “moi le champagne j’y arrive pas, la bulle, l’acidité, ça passe pas !” Pour la première dégustation, on est allé chez Antoine Coutier à Ambonnay. Il a repris le domaine familial et fait des choses très marquées sur le pinot noir, avec beaucoup de fruits, un peu plus vineux que la moyenne mais toujours très équilibré et avec un dosage brut. J’ai vu dans les yeux de ma sœur que c’était la première fois qu’elle goûtait quelque chose qui était bien fait et qui lui faisait plaisir ! Depuis, elle m’en reparle à chaque Noël ! J’ai pu faire découvrir le champagne à ma sœur qui n’en buvait pas et ça, ça a été un moment extraordinaire…

Je dois dire aussi que j’ai des clients top, acheter du champagne c’est parfois un investissement, donc quand on les voit qui hésitent et qui se laissent tenter, puis qui reviennent en nous remerciant ça fait vraiment plaisir. Mon ancienne patronne de Londres m’a transmis cette passion là. Elle m’a pris avec elle dans les vignes afin d’être dans la découverte et au plus proche du sujet et c’est quelque chose que j’ai gardé et que j’ai maintenant à cœur de transmettre.

Il y a-t-il des projets futurs ?

Pour l’instant je suis bien ! Je suis admirative des collègues qui sont dans des envies d’expansion, j’ai un peu moins cette envie là. J’aime construire mon cocon, et ma boutique le représente bien,  Le retour à Lyon avec ce lieu magique sur la  place Sathonay, qui pour moi est la plus mignonne et la plus jolie place du cœur de Lyon me suffit amplement pour le moment. Disons que je garde les yeux et les oreilles ouvertes, mais pas de scoop à vous donner pour aujourd’hui ! 😉

Eclair

Nous pouvons vous aider à travailler avec les cavistes. Contactez-nous pour qu'on vous explique !