#7. Le vin au restaurant : voyage avec boussole

Chroniques sociales d’un épicurien
By Jean-Baptiste Maugars, Directeur Général | Vins & Spiritueux | Fine-food | Art de vivre

Déjeuner amical ou professionnel, dîner en famille, souper de fête, collations légères sur les dernières terrasses de la saison, toutes les occasions des repas au restaurant convoquent le même rituel concernant le vin : un questionnement sur sa présence « vous prendrez un peu de vin pour accompagner votre repas ? » et, sous réserve d’un accord, sur le choix de la bouteille : « je vous laisse regarder la carte des vins, n’hésitez pas si vous avez besoin d’un conseil »

Mettons de côté les circonstances nombreuses qui privilégient la sobriété, et intéressons-nous aux moments qui transforment un partage de saveurs en un moment civilisé : un vrai repas – mot lié au temps et à la mesure. Les mets relèvent d’un choix individuel, le vin d’une décision collégiale. Le statut singulier du vin ajoute une tension sociale à l’instant (nous le savons, c’est un acteur).

Deux ambassadeurs : la carte des vins et le sommelier

Au restaurant, deux médiums coexistent entre le vin et nous : la carte des vins et son présentateur (patron, sommelier, serveur). La carte des vins, mappemonde sélective, met en lumière quelques régions et qualités ; à charge au Monsieur Loyal de la scène de l’animer et de délivrer un conseil. 

Or, dans le pays emblématique du vin, il est frappant de constater la faiblesse de ce couple d’ambassadeurs : bien sûr, les tables qui proposent à la fois une offre de vins de qualité  et des officiants enthousiasmants, passeurs, éclaireurs et conseillers existent, pour notre plus grand plaisir. Souvent, l’ensemble de « l’expérience », pour reprendre la terminologie du moment, est de haute volée, dans toutes ses séquences : atmosphère de la salle, sourires conviviaux, intelligence gastronomique, sensation que l’ensemble des émotions se rejoignent. Dans ce cas la notion parfois éculée d’art de vivre « à la française » prend tout son sens. 

Mais pour beaucoup de restaurants qui se laissent aller, le traitement du vin et sa présentation sont indignes de leur ambition, de leur cuisine, de leur région, de leurs clients. Nous avons tous expérimenté, même dans des endroits de référence :

  • une offre sans relation au lieu, hors sol
  • une carte des vins limitée à quelques vagues indications
  • l’absence quasi systématique du nom des élaborateurs
  • des interrogations paradoxales grotesques (« vous préférez Quincy, SudOuest ou Chardonnay ?»)
  • l’usage d’un jargon pseudo sophistiqué, dans lequel les notions d’environnement ont ajouté de la confusion

Le vin est un pivot de la restauration, générateur de plaisir et de marges. La question n’est pas de disposer de milliers de bouteilles ni que le sommelier nous indique le numéro du porte-greffe ou le nom du chien du viticulteur. Il s’agit de considérer sa mise en scène avec autant d’importance que la cuisine et l’accueil : pertinence de l’offre et brio de sa recommandation.

Le caviste, vrai prescripteur de vins

Pourquoi ne pas s’appuyer sur un caviste proche afin de constituer cave et carte des vins idoines ? Un tel mécanisme est vertueux pour la planète en termes de transport, bénéfique pour les vignerons et propriétés, et gratifiant pour deux commerces complémentaires. Certains cavistes proposent de se sustenter au sein de leur officine, et quelques restaurateurs vendent des vins. Quel plaisir !

Et puis, amis restaurateurs, formez vos équipes, sur le fond et la forme. Les vins ont besoin de vrais prescripteurs. Quelques suggestions stimulantes, tant pour les consommateurs que pour les ventes :

  • proposer une offre construite en relation à la nature du restaurant (histoire, lieu, cuisine, clients)
  • valoriser un nombre limité de vins choisis : une carte est comme un livre, le volume n’est pas un critère
  • les connaître : pas d’encyclopédisme, de l’hédonisme : Épicure au-delà de Diderot
  • vins au verre: les servir en montrant la bouteille, et les faire goûter (usage courant en Asie)
  • nous épargner l’incontournable « tout s’est bien passé ?» et l’abominable « ça a été ? » qui semblent faire accroire que l’absorption du plat du jour et du vin qui l’accompagne tiennent davantage de l’ascension de la face nord du K2 que d’un stimulant et simple plaisir gustatif : l’intitulé « du jour » signifie clairement que notre plaisir est à la mesure du moment et du vin : il ne se prouve pas, il s’éprouve.

Il semble à la fois urgent et facile de sensibiliser nos restaurateurs à aiguiser leurs propositions de la dive bouteille et à permettre à leurs équipes de mieux apprivoiser Dionysos. Ce dernier ne s’offusque ni d’une exigence de qualité ni d’un apprentissage  dont chacun appréciera les vertus et les plaisirs. 

Au restaurant, le vin et ses rituels ne s’apparentent pas à du poker, mais à un jeu de pistes : pour que les participants jubilent, il est préférable de disposer de bonnes cartes, d’annonces pertinentes et d’éclaireurs curieux. Alors la carte devient un livre, le vin un langage, et le repas un terrain d’entente.

Et c’est ainsi que Bacchus est grand.

(Re)trouvez les précédentes chroniques de Jean-Baptiste Maugars sur Culture, Tribunes Libres

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