Philippe Dorso, le gérant de la Cave Spirituelle à Toulouse dépoussière le pastis

par Hugo Levavasseur, ambassadeur cavistes chez Bottl.

Cela fait maintenant 28 ans que Philippe tient les rênes de la célèbre Cave Spirituelle à Toulouse. Il nous présente une nouvelle image du pastis, plus dynamique et plus moderne. Les nouveaux acteurs locaux s’efforcent de mettre en lumière le caractère noble et typique de cette liqueur ainsi que des notes subtiles et plus profondes que le pastis que nous avons l’habitude de consommer. 

Comment es-tu devenu caviste ?

J’ai un parcours plutôt classique, étant avant tout de chose un pur produit de l’école hôtelière de Toulouse. J’y ai passé 5 ans, avec en poche un BEP en restaurant, un bac en cuisine, une formation d’un an en sommellerie. Je suis ensuite parti à Paris en grande restauration, notamment en tant que commis chez Guy Savoy. Mais très rapidement, j’ai eu envie de m’installer à mon compte, c’est alors qu’en 1994, à l’âge de 22 ans, j’ai eu une opportunité sur une cave dans le centre-ville de Toulouse, que j’ai saisie. Aujourd’hui, ça fait 28 ans que je suis installé, et toujours autant de projets en tête !

Peux-tu nous parler de ta cave ?

Notre premier établissement est situé dans le cœur historique de Toulouse, dans le centre, il s’agit de la Cave Spirituelle. On y trouve un très grand choix de vins et de spiritueux via un millier de références. On essaie de bien représenter le vignoble dans son ensemble, avec tout de même une belle part pour les vins de l’Occitanie, Sud, Sud-Ouest et Languedoc-Roussillon. On essaie de travailler au maximum les vins issus de l’agriculture biologique, biodynamie ou nature. Autre point à préciser, nous proposons la vente en ligne depuis 2005, celle-ci est un aspect important pour nous puisqu’elle représente 30 % de notre chiffre d’affaires. En 2013, on a racheté un autre établissement en banlieue toulousaine : Vinea, une cave à manger où l’on opère deux activités : caviste, avec une sélection très orientée bio et nature puis une partie restauration uniquement le midi où l’on propose une cuisine de bistrot, respectant les saisons, et privilégiant des fournisseurs en circuit court.

Peux-tu nous dire ce qu’on entend par pastis ?

Commençons par un petit rappel, le pastis en provençal s’appelle « la bouillie », qui signifie « le mélange ». C’est une boisson alcoolisée issue d’un alcool neutre agricole, puis aromatisée à l’anis et au réglisse. On peut d’ailleurs rajouter de l’anis vert, du fenouil et d’autres herbes, cela dépend des envies des maisons. Le pastis serait né de l’interdiction de l’absinthe en 1915, pendant la première guerre mondiale, celle-ci étant fortement alcoolisé, elle rendait manifestement un peu fou les consommateurs de par la thuyone, une substance hallucinogène qu’on retrouve dans de nombreuses plantes dont l’absinthe. Elle fût rapidement remplacée par l’initiative de Jules Felix Pernod, qui déposa une marque, Anis Pernod, qui produira le premier pastis commercialisé tout près d’Avignon. A savoir, pour avoir la notion Pastis, il vous faut avoir un degré alcoolique de 40 degrés minimum et pour prétendre à un pastis de Marseille, il s’agit de 45 degrés. 

Peux-tu dire les différences entre un pastis industriel et artisanal ?

Les acteurs de la région de Provence, tels que les liquoristes de Provence : la maison Bardouin ou encore la maison Jean Boyer dans les Landes sont des liquoristes de très grande qualité avec des recettes beaucoup plus précises et plus fines que les pastis industriels, contenants moins de sucre résiduel. On accède ainsi à des produits plus qualitatifs, ce qui permet de réellement découvrir ou de redécouvrir la richesse de cet apéritif très populaire. On vient vraiment jouer sur des profils différents, certains sur le côté reglissé, d’autres plutôt médicinal…

Ce qui peut être assez délicat avec le pastis, c’est ce côté assez prenant en bouche du réglisse, qui peut rester au palais. Cependant, à la différence d’un pastis industriel, un artisanal possède une belle complexité aromatique, laissant une bouche « propre », non alourdie par les sucres qu’on peut trouver dans les pastis industriels. Ce qui permet derrière de consommer du vin pendant le repas par exemple. 

Peux-tu nous parler de ton offre d’anisées ? A titre plus personnel, quel est celui que tu souhaiterais mettre en avant ?

Aujourd’hui, nous avons 8 références de pastis, avec pour chacun d’entre eux une identité assez affirmée. Il s’agit de liquoristes du secteur traditionnel très reconnus, je pense notamment à la maison Bardouin qui aujourd’hui est un incontournable, mais encore les liquoristes de Provence. Notre clientèle nous fait confiance et se prête souvent au jeu de goûter plusieurs références. Vous allez avoir des profils très axés sur le parfum, soit l’anis, sur la réglisse, mais aussi sur le côté médicinal, plutôt puissant, ceux sur le côté végétal… D’une manière générale, on retrouve toujours ce sentiment de fraîcheur, ce côté frais et désaltérant.

A titre plus personnel, j’aimerais mettre en avant le pastis que je consomme à la maison, un pastis à la sève de réglisse de chez Jean Boyer. Un pastis frais, accompagné d’un sentiment en fin de bouche où j’ai l’impression de sucer le bâton de réglisse de quand j’étais enfant. 

Quel est le profil de votre clientèle consommatrice d’anisés ?

C’est un épicurien entre 30 et 50 ans, exigeant, faisant attention à ce qu’il consomme et souhaitant des choses qui se démarquent. En venant chez nous, ils recherchent des produits qu’ils n’ont pas trouvé ailleurs, quitte à payer un peu plus cher.

D’ailleurs, certains de nos clients qui ne savent pas spécialement ce qu’ils veuillent entre un vin doux naturel, un vin de liqueur, un porto, sont très ouverts à nos suggestions. Cela nous permet justement de leur faire des propositions originales, en leur faisant découvrir notre sélection de pastis. 

D’après toi, comment ce marché va-t-il évoluer dans les années à venir en France ? 

C’est assez délicat à répondre… mais je constate nettement que le monde des spiritueux en général, est en pleine ébullition. Certes, certains marchés sont arrivés à maturité tel que celui du whisky et des rhums, avec une offre très large et étoffée. Cependant, ces dernières années, le monde du gin et de la brasserie a vraiment explosé. Concernant le pastis, difficile de prédire l’avenir mais une chose est sûre, il y a encore de la place pour faire évoluer le produit. Le pastis est encore vu de façon très caricaturale : c’est le soleil et l’apéro, mais on pourrait élargir les périodes dominantes de consommation ? en l’insérant peut-être dans la mixologie ?

Ce qui est difficile également, c’est la connotation du pastis, populaire et péjorative. On entend souvent « c’est le jaune ». Pourrait-on changer cette image ancrée ? Aujourd’hui, les nouveaux acteurs nous permettent de mettre le doigt sur un apéritif qui révèle sa réelle raison d’être, un apéritif qui a toute sa place et sa noblesse, à partir du moment où le produit est travaillé qualitativement par les maîtres liquoristes !

Je suis sûr qu’avec le dynamisme du monde des spiritueux, cela va un jour toucher le pastis. La catégorie a besoin d’un coup de pinceau pour redorer son image mais les traditions sont difficiles à faire bouger et les réputations aussi. Ce travail s’établit petit à petit grâce aux nouveaux entrants sur le marché qui bousculent les habitudes et présentent la vraie noblesse de cet anisé.

Le saviez-vous ?

Le concours World Drink Awards a désigné en 2022 le meilleur pastis du monde. C’est en effet de la distillerie L’Anis des Gones, basée dans le 8ᵉ arrondissement de Lyon, que sortiraient les meilleures bouteilles du célèbre anisé.

Eclair

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