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Christophe Fargier & Ninkasi : bière, burger & musique

L’aventure de la brasserie (et nouvellement distillerie) Ninkasi racontée par son fondateur, Christophe Fargier. Fondée en 1997, le nom de la brasserie rend hommage à la mythologie sumérienne et à sa déesse de la bière.

Racontez nous la création de Ninkasi

Ninkasi, c’est l’histoire d’une rencontre. Après le bac, je suis parti aux États-Unis et j’ai découvert la ville de Portland. J’y ai fait la rencontre d’un américain, Kurt Huffman, avec qui je suis devenu ami. De retour en France, quelques années plus tard, j’ai étudié la reprise de l’entreprise d’un de mes oncles. Cela ne s’est finalement pas concrétisé et j’ai voulu repartir quelques années me former, acquérir une expérience pour revenir avec une idée que j’aurais trouvé là-bas et monter mon entreprise en France !

Un jour, en échangeant avec Kurt, il m’a dit : “tu sais qu’aux États-Unis il y a quelque chose qui marche très bien en ce moment, je suis persuadé que ça pourrait marcher en France : c’est le phénomène des “brewpub”, des microbrasseries”. A Portland, le phénomène avait particulièrement explosé car il y avait plus de 80 brasseries dans la ville.

Cela m’a beaucoup intéressé car l’idée d’apprendre à fabriquer quelque chose de mes mains, après avoir fait des études qui portaient plus sur les concepts et les savoirs-faire, était quelque chose qui allait pouvoir me permettre de m’épanouir, de prendre du plaisir et aussi de trouver du sens.

Il m’a donc trouvé du travail à BridgePort (une brasserie de Portland). On a investi en parallèle dans un petit système de brassage pour l’installer dans le garage de sa maison et on a expérimenté plus d’une centaine de recettes de bière. De mon côté, je me suis plongé dans les livres pour apprendre, j’ai fait une école à Chicago pendant quatre mois pour parfaire ma formation (le Siebel Institute of Technology) et pendant toute cette année passée aux États-Unis, on a visité des microbrasseries, des brewpubs…on a vraiment mûri notre projet et on est revenu en France avec les idées très claires sur ce que l’on avait envie de faire.

Le concept Ninkasi : Bière, Burger & Musique 

Nous avons cherché à Lyon un emplacement, et nous avons trouvé une ancienne entreprise de transport dans le quartier de Gerland. A l’époque, Gerland était un peu excentré, et n’était pas relié par le métro, mais on a eu la chance de mettre la main sur un bâtiment de grande taille dans lequel on a fait un lieu de production et, attenant à ce lieu de production, nous avons également conçu un lieu de consommation.

Kurt avait appris le métier de boulanger pendant que je perfectionnais mes connaissances sur la bière. Au début, le concept de la restauration que nous proposions était le burger gourmet (qui n’était pas du tout à la mode à l’époque), les pizzas et toute la cuisine autour du barbecue. Et plus tard, on s’est recentré uniquement sur le burger et les grandes salades. 

On a fait une place importante à la musique : nous avons imaginé un lieu que nous aurions aimé avoir quand nous étions étudiants ! La musique, on adorait ça, et parmi les gens qui ont rejoint l’aventure, on avait des musiciens donc tout ça s’est fait de manière très naturelle. 

Qu’est-ce qui vous anime au quotidien ?

Le sens et les valeurs du projet Ninkasi : la qualité du dialogue et des relations avec nos équipes et nos partenaires, les logiques de circuit court, le fait d’avoir une démarche d’entreprise citoyenne qui s’enracine dans un territoire, et qui a des externalités positives, qui participe à la vie de la cité. Ce sont des choses qui nous semblaient évidentes dès le début et que l’on a tout de suite inscrites dans notre projet.

Ce qui est primordial, c’est le plaisir, l’épanouissement, les rencontres… Moi, ce qui me fait vibrer c’est de me lancer dans de nouvelles aventures, d’avoir des rêves partagés avec d’autres et de dire “chiche” on le fait ! C’est grâce à cela que j’ai toujours la banane et que je reste optimiste, que j’ai envie d’aller travailler. 

Je ne me suis jamais dit qu’un jour je pourrais vendre Ninkasi, pour moi c’est inconcevable ! Ce projet s’inscrit dans la durée et j’en suis même à un stade de me poser la question de la pérennité. Quand moi je ne serai plus là, j’aimerai que l’aventure continue et je commence à réfléchir aujourd’hui à comment ce serait possible de permettre à ce projet de continuer à vivre sans que j’en sois aux manettes en essayant de lui conserver les valeurs, l’esprit mais en permettant aux gens également d’apporter leurs propres rêves, leur propre créativité.

Depuis la création de ce premier lieu à Gerland, l’aventure a considérablement grandi ?

Alors, l’aventure Ninkasi, ce n’est pas qu’ un long fleuve tranquille. On a été confronté à des difficultés, qui ont été stimulantes et ont permis au projet de s’enrichir. 

On a décidé par exemple, sur un coup de tête, de faire une salle de concert au sein du Ninkasi Gerland : pour nous cela avait du sens d’avoir un outil qui permette d’aller plus loin pour mettre en lumière de jeunes artistes locaux mais cela a été une catastrophe économique et cela a failli nous faire disparaître… C’est ce qui nous a poussé à ouvrir nos premiers établissements dans le centre de Lyon afin de soutenir financièrement le Ninkasi Gerland. Cette démarche de développement de points de vente s’est avérée vertueuse parce qu’on a pu développer une clientèle beaucoup plus importante et cela nous a également permis de distribuer notre bière en dehors des établissements Ninkasi. 

Si en 1997, on a créé notre propre lieu de consommation, c’est parce que les bars étaient verrouillés par des contrats brasseurs et que les cavistes et la grande distribution ne s’intéressaient pas aux bières artisanales. Avec notre développement, très local, on a pu ensuite aller frapper à la porte de ces établissements qui ont bien compris qu’à Lyon, il y avait des consommateurs qui aimaient beaucoup Ninkasi et que ce n’était pas une mauvaise idée de proposer nos produits. Et après, cela s’est petit à petit élargi, d’autres brasseries ont eu la même démarche que nous, la population française s’est intéressée à la bière, il y a une culture de la bière qui s’est développée… Et aujourd’hui on est sur un marché qui est extrêmement porteur et très dynamique, mais cela a été un vrai travail de fond.

Aujourd’hui, quels sont vos projets de développement ?

Aujourd’hui on a l’opportunité de se développer au niveau national. On a envie de participer à ce qu’il y ait des alternatives, à ne pas laisser la place aux industriels qui ont un modèle différent du nôtre. Il faut que l’on soit ambitieux ! On s’est mis en ordre de bataille pour relever le défi et devenir une belle marque de bière nationale avec un réseau de distribution national.

Nous nous sommes également lancés dans l’univers des spiritueux avec la création d’une distillerie. Cela semble logique quand on fait de la bière, puisque le whisky est élaboré à base de bière sans houblon, et que l’on est dans un territoire où l’on a une eau exceptionnelle et extrêmement douce (à Tarare). Et puis c’est aussi le fruit d’une rencontre : nous avons un distillateur – vigneron, Alban Perret qui est venu frapper à notre porte et qui nous a demandé pourquoi nous ne faisions pas de whisky ! Cela a été une très belle rencontre. 

Cette nouvelle activité nous ouvre sur de nouveaux univers : celui du vin, puisque l’on cherche à récupérer des fûts chez de grands vignerons de notre région, mais aussi celui de la tonnellerie, des alambics… Il y a toute cette aventure du whisky français à laquelle on participe et qui est passionnante. Ce qu’il y a d’exceptionnel avec le whisky, surtout en ces temps d’agitation ou tout s’accélère, c’est que cela vous impose le temps “long ». On a un projet dont on va vivre le début mais dont on ne verra très certainement pas l’apogée car ce seront les générations futures qui le perpétueront.

Production de bière, whisky, gin et vodka : quelles sont les prochaines catégories que vous allez expérimenter ?

On se lance dans le cidre; historiquement l’Auvergne et la Savoie possédaient un savoir-faire dans le cidre qui a souvent disparu. Nous souhaitons marier les univers, ce sera un cidre dans lequel nous introduirons du houblon ! Le houblon, c’est une plante et une épice extraordinaire; il y a une gamme d’arômes qui est extrêmement large et il y a la possibilité de faire des choses magnifiques.

Nous venons également de retravailler notre gamme de sodas pour la faire basculer en bio et réduire la teneur en sucre. Nous allons aussi lancer une nouvelle référence, le ginger ale.

Et nous expérimentons aussi l’univers des alcools de fruits, avec notre poire notamment. On a essayé avec la ratafia (qui est la cerise que l’on utilise pour notre bière Kriek) mais les résultats ne sont pas très satisfaisants. On a envie de tester la prune, le quetsch… on s’amuse un petit peu…

De manière plus globale, le sujet de la consommation et de la production responsable est un des axes sur lequel nous souhaitons travailler dans les années à venir. Cela nous amène donc à travailler sur des spiritueux sans alcool avec le souci de proposer des alternatives qui soient vraiment qualitatives pour que l’on puisse avoir une expérience aussi intéressante que si l’on consomme une boisson alcoolisée.

Parlez nous de la relation que vous avez avec les cavistes

Les cavistes, cela a été le premier réseau avec lequel on a commencé à travailler il y a plus de 20 ans, au début des années 2000. Il s’agissait principalement des cavistes de la région lyonnaise. 

Ils ont joué un rôle important dans le travail d’évangélisation pour que les consommateurs découvrent l’univers des bières artisanales. Ils ont vraiment été des précurseurs, nous leur sommes redevables de nous avoir aidé à développer notre notoriété. Aujourd’hui, c’est un réseau que l’on considère comme extrêmement important parce qu’il y a cette valeur ajoutée qui est apportée par le caviste car quand les gens se rendent dans une cave, ils viennent chercher du conseil.